Catégoriser le monde n’est pas nouveau, cela date même de l’Antiquité. On cherche à classifier les phénomènes et les individus afin de fournir à l’humanité une grille de lecture pour mieux comprendre les relations de causalité et les mécanismes d’existence. Par cette classification on peut également mieux démêler et anticiper les découvertes en tout genre. Aristote est le premier à introduire la notion de catégorie au IVe siècle avant notre ère pour classifier les représentations de l’être. Depuis, la catégorie, même controversée, a été utilisée dans des raisonnements philosophiques, économiques ou encore scientifiques. La catégorie est particulièrement utilisée dans la modélisation scientifique où elle permet de réaliser une représentation simplifiée de la réalité afin d’en extraire des tendances, des théories ou encore des questions. À l’ère de l’intelligence artificielle, la catégorie influe encore davantage tant la modélisation scientifique domine et s’affine. Classifier le monde est attirant, mais cela engage également une vision prismée de ce monde. Une question se pose, la catégorisation de l’univers serait-elle un rêve aux origines helléniques ou une réalité concrète au futur universel ?
Dans son œuvre majeure Organon, Aristote propose dix catégories pour décrire l’être, dont la quantité, la qualité ou encore la relation. L’idée est de classer les choses et les êtres selon des catégories avec des caractéristiques propres, pour mieux les comprendre. Par exemple, Thomas Pesquet peut être défini comme un homme de 41 ans pour sa quantité, spationaute pour sa qualité et membre de l’Agence spatiale européenne pour sa relation. Cette catégorisation n’est pas unique pour un être, mais en fournit une définition. Thomas Pesquet peut aussi être défini comme un homme de 1,87 m pour sa quantité, ingénieur aéronautique pour sa qualité, et le mari de Anne Mottet pour sa relation. Cette classification réduite et fortement controversée a néanmoins ouvert un chemin vers une philosophie de la catégorisation du monde, pour finalement décrire les fondements de la modélisation scientifique.
Unicité de l’être
En intelligence artificielle, les modèles et les algorithmes possèdent par exemple des critères, des conditions et des hypothèses explicitement définis par le scientifique, qui forment d’une certaine manière une catégorisation du phénomène à simuler numériquement. Dans le cas des techniques d’apprentissage, ces catégories se forment à travers les invariants du réseau neuronal. Alors qu’Aristote avait imaginé dix catégories pour raisonner manuellement, les algorithmes possèdent une granularité catégoriale fine pour un raisonnement numérique.
Alors que les quelques catégories d’Aristote présentent l’avantage de connaître explicitement la classification du monde sur laquelle réfléchir, les catégories issues de l’intelligence artificielle restent souvent difficilement identifiables. Cela étant dit, cette dernière évolue automatiquement dans le temps contrairement à celle d’Aristote qui est par définition figée. Enfin, la catégorisation numérique possède une granularité plus fine qui traduit en théorie plus fidèlement la réalité. On peut imaginer que dans le futur les techniques d’apprentissage permettent de décrire un nombre tellement grand de classes que la notion même de catégorie disparaîtrait au profit de l’unicité de l’être et de la chose. En attendant, le manque éventuel de transparence de la catégorisation algorithmisée peut amener à des lectures biaisées du monde. Si seulement Aristote pouvait voyager dans le temps pour venir nous aider ! Au grand malheur de l’humanité, ceci restera toujours un rêve !